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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
date : année 2006-2007

Le Plan de travail dans la classe coopérative institutrice

A quelles conditions une technique Freinet peut devenir une institution.

Le Plan de travail est une technique inventée par Célestin Freinet. Je vais essayer d'écrire ici comment cette technique (Freinet donc…) peut devenir une institution dans la classe institutrice.

Dire d'abord que je ne vois pas l'utilité de mettre en place un Plan de travail s'il n'y a pas de projets coopératifs dans la classe. La fonction première du Plan de Travail est que tous les élèves ne fassent pas (sans cesse) la même activité au même moment (tout le temps).
Sa vertu première est d'éviter le fonctionnement moutonnier (qui génère ennui et décrochage) de la classe (tueuse alors de désir d'apprendre et de désir tout court pour la grande majorité des enfants).

Ceci étant posé, l'introduction de la technique « Plan de travail », comme de toute institution, dans une classe (unique, à plusieurs cours, à cours unique, …) forcément – comme toute classe – hétérogène, naît d'une nécessité.

Si c'est un « truc » de plus qu'on a envie de mettre en place parce que « ça se fait dans les classes institutionnelles » autant s'abstenir car cette technique viendra « en plus » (s'ajouter) et alourdira un fonctionnement déjà complexe.

Le Plan de travail – comme je souhaite le présenter ici - modifie radicalement le fonctionnement de la classe et l'organisation des apprentissages et ne vient, en aucun cas, se surajouter.

J'insiste : il permet de rendre inutile la conduite de beaucoup de séances d'apprentissages collectives. Pour les deux tiers des enfants d'une classe, elles sont inefficaces (et donc parfaitement inutiles sinon pour les occuper et contenir le groupe). Il suffirait – pour gagner un temps considérable au profit de toutes les activités coopératives au cours desquelles les enfants apprennent grandement – de ne conserver que celles, incontournables (comme des situations-problèmes en maths par exemple ou des séances au cours desquelles la différenciation est effectivement mise en œuvre), réellement productrices d'apprentissages.
La plus grande partie des séances de structuration de la langue (vocabulaire, conjugaison, exercices de grammaire) sans parler des entraînements aux techniques opératoires, problèmes en maths, …. font partie de ces moments de classe improductifs et surtout mangeurs d'un temps précieux qu'on pourrait consacrer à mille activités plus riches et surtout plus respectueuses du désir d'apprendre.

Le Plan de Travail permet donc de mettre en œuvre une autre manière de concevoir les apprentissages. Car il représente une autre conception du rôle du maître dans les apprentissages, en jouant le rôle d'une médiation : ce n'est plus le maître tout seul qui va apprendre aux enfants mais plutôt les enfants qui vont être dans une situation d'apprentissage en autonomie. Avec un Plan de travail, le maître lâche la barre partiellement pour la « tenir » autrement.

Rappeler que le travail autonome n'est pas le travail individuel. Le travail autonome implique la possibilité à chaque élève :

  • de faire des choix (exercice de sa liberté)
  • de prendre des initiatives (encore la liberté mais exercice du jugement aussi, ainsi que l'apprentissage du principe de réalité et la possibilité de faire ses propres expériences)
  • d'exercer sa responsabilité (et chemin faisant d'apprendre la responsabilité)

Il nécessite donc une progression individuelle pour chacun et une liberté de choix dans des activités (au moins l'ordre de leur effectuation).

Cela entraîne que tous les élèves ne fassent ni la même quantité de travail ni tous le même travail. C'est une sorte de déplacement à 180°, pas facile à accepter, dans la conception hiérarchisée et autoritaire (politique donc) de l'apprentissage en France, (fourmilière où Freinet a mis un coup de pied génial à partir de 1920) dont beaucoup d'enseignants ont du mal à faire le deuil encore aujourd'hui et à laquelle l'école, quoi qu'elle en dise, ne peut/veut pas se séparer (ce qui est un problème politique aussi car sa conception de l'exercice du pouvoir du maître, c'est-à-dire sa conception de son pouvoir à elle sur les maîtres, est en jeu là).

Non seulement le Plan de travail donne du sens aux ceintures disciplinaires mais il les nécessite et leur permet donc de naître (et leur donne un sens totalement différent que celui de l'évaluation au sens scolaire du mot1). Le plus pratique est qu'elles soient référées à un outil (et non pas à ces fichues compétences) : un fichier, et/ou un « coin » de travail autonome avec matériel, fiches techniques, fiche de travail, et/ou…

Il est indispensable au préalable de mettre des outils (ou « détourner » ceux qui existent déjà2) de type « travail autonome » en fonctionnement dans la classe. Et en apprendre l'utilisation et les contraintes, bref la méthodologie, à tous les enfants, le plus soigneusement possible afin qu'ils soient – d'abord – autonomes dans l'utilisation des outils.

Donc au fur et à mesure que des outils de type fichier ou autres sont introduits dans la classe (et tous les enfants initiés à ceux-ci) le Plan de travail s'instaure et se complexifie peu à peu : du plus simple (de 3 « exigences » à faire en 2 jours par exemple) à toute une liste sur une semaine.

Les moments « Plan de travail » peuvent avoir des durées variables selon le(s) projet(s) à boucler par exemple :

  • 1 journée et demi par exemple pour finir la lettre aux corres' ;
  • 3 heures (ou 1 heure et demi) parce qu'on veut initier à un nouvel outil, quelques enfants – à qui on fera passer un Brevet de cet outil - qui auront ensuite dans leur Plan de travail des moments où ils initieront les autres ;
  • ou 45 min pour conduire un atelier de remédiation sur une notion mal assimilée par certains ;
  • ou une semaine ou plus dans une classe unique par exemple ;
  • ou …

Je vois des inconvénients à la plage fixe « travail autonome » dans l'emploi du temps (qui alors risque d'être déconnectée du travail coopératif et des projets et rendent le Plan de travail « plaqué » plutôt qu'intégré véritablement à la vie de la classe)

On ne part pas de rien quand on démarre la technique Plan de Travail dans une classe ; on y injecte ce qui se faisait auparavant collectivement (exemple : l'exercice d'application ou d'entraînement à une notion nouvelle qui n'est plus effectué tous ensemble après la séance d'apprentissage mais qui s'inscrit dans le plan de travail et est donc différé à un temps de travail autonome )

Le plan de travail est une structure transversale qui permet de « jongler » avec l'emploi du temps (qui existe pour faire plaisir à l'inspecteur… qui s'imagine ainsi qu'il contrôle quelque chose…).
L'emploi du temps fixe et immuable (sauf pour des plages comme Conseil, ou EPS ou salle d'Arts Plastiques parce qu'on dispose d'une installation commune à toute l'école) est un piège, un carcan qui va à l'encontre des finalités de la classe coopérative. Est bien préférable (liberté et souplesse, prise en compte de l'imprévu), l'information de la classe au début de chaque journée : « Comment va se passer la journée », le « Menu du jour » que personnellement j'affichais rituellement après le Quoi d'neuf? chaque matin.

Si le Plan de travail ne permet pas au maître (et aux élèves) « de respirer » hors d'un fonctionnement moutonnier du groupe-classe c'est raté (ou c'est autre chose que de la P.I.)

Au plan méthodologique, l'institutionnalisation d'une «  pochette » ou d'un dossier personnel « Plan de travail » s'impose. Sur la 2ème de couverture de celui-ci sera collé le Plan de travail (quelle que soit sa durée). Chaque enfant y serrera son travail, ses fiches, ses feuilles, … bref son travail, tout le temps de la durée du Plan.
Il serait hasardeux (et source de beaucoup trop de travail en même temps pour le maître) qu'il n'y mette le nez (dans les pochettes) pour corriger le travail qu'une fois le temps prévu pour le Plan échu. Il est nécessaire de « suivre » chaque jour au moins la moitié des pochettes pour voir où chacun en est et rappeler à l'ordre (et/ou comprendre ce qui se passe pour veiller au grain) dès le lendemain celui ou celle qui n'a presque rien fait dans la journée.
Les corrections ne doivent pas être plus importantes en volume horaire de travail du maître hors la classe3 que dans une classe « ordinaire » : penser aux corrigés type, aux fiches auto-correctives (qui nécessitent quand même une correction mais plus rapide de la part du maître) et se laisser convaincre ici que du travail d'entraînement (dans certaines disciplines, l'écriture par exemple), supporte de n'être pas obligatoirement « corrigé ».

Au cours d'une plage horaire assez longue (une journée ou plus) consacrée à un Plan de Travail il est nécessaire que des regroupements de la classe (pour d'autres activités collectives) alternent avec les moments de travail individuel. Les moments de rupture (récréations, déjeuner, fin de journée) sont les plus propices pour que la classe se retrouve regroupée et échange, fasse le point, que chacun dise si c'est nécessaire ses difficultés, ses remarques, ses propositions au cours d'un ça va/ça va pas « Qu'est-ce que j'ai fait ce matin de mon plan de travail… ».
Avec les Cycles 3 je demandais parfois en fin de journée un rapide bilan écrit que je lisais tranquillement le soir et qui était toujours intéressant. Parfois je répondais par écrit. Les enfants appréciaient beaucoup ces échanges d'un autre type.

Les différents Plans de travail ne s'enfilent pas immuablement les uns aux autres. Il peut y avoir un espace temps (même plusieurs jours, pourquoi pas) entre deux Plans de travail. C'est même souhaitable car :

  • certains enfants auront besoin de plus de temps que d'autres (ceux qui auront fini pourront faire du « travail libre » qui d'ailleurs peut apparaître dans le Plan de travail dans la rubrique « je choisis de faire… » du Plan, agréable, pour inciter les autres à accélérer)
  • il est impératif de clore un Plan (corrections, rangement des fiches, vider la pochette soigneusement, …) avant d'en ouvrir un autre et cela pour tous, quitte pour les plus réticents ou lents à « passer l'éponge » pour certains travaux non faits. Sinon on risque d'attendre trop longtemps d'une part et d'autre part de laisser certains s'enliser. Il est d'ailleurs pour ceux-là préférable d'alléger dès le départ la masse de travail exigée.


Pour finir : le cap à viser est un outil d'organisation du travail autonome et individuel qui permette :

  • - en premier lieu (pour moi c'est d'abord ça) la conduite plus aisée de projets coopératifs où tout le monde ne fait la même chose en même temps

et (ce qui n'est pas secondaire bien sûr) …

  • - la différenciation (que chacun progresse à partir de là où il en est, même si c'est 2 niveaux plus bas, ou deux niveaux plus haut que la classe où il est inscrit)4 et donc de n'en abandonner aucun, même si la progression générale de la classe se poursuit.


Dernière recommandation : l'introduction de la Technique « Plan de travail » exige (comme toute introduction d'une nouvelle institution de :
« Ne pas lâcher les mains avant d'avoir assuré les pieds » comme le recommande Célestin Freinet)
de la prudence et de la modestie.
Il faut s'efforcer d'y aller progressivement et d'introduire peu à peu les nouveautés qui rendent l'outil de plus en plus complexe et efficace.

Le Plan de Travail n'est en aucun cas anodin. Ce n'est pas un « truc » de plus.
Il est une manière tout à fait différente de concevoir et d'organiser les apprentissages dans la classe coopérative.

Irène Laborde, Collectif isérois




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