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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
date : année 2002-2003

Pour des livres, des clés, des places

Dans une classe de 2e commune (note1), un Conseil hebdomadaire est instauré depuis la 1ère, par moi-même, titulaire de la classe. Dans cette construction d'organisation, tenir en point de mire des apprentissages en lien avec mes branches : Français et Étude du Milieu.

Cette fois-là, un des points mis à l'ordre du jour stipule ceci : "discuter des livres de néerlandais enfermés".

De quoi s'agit-il ? Une élève explique au Conseil : "L'école a acheté, à la demande du professeur de néerlandais, des nouveaux livres beaux et chers. Les élèves paient une location mais les livres doivent rester à l'école, enfermés dans une armoire avec cadenas dont le professeur seul a la clé. On n'est pas d'accord."
Je demande si elles en ont déjà parlé avec le professeur. Oui. Il leur a dit que c'était un ordre du directeur. À la question « pourquoi ? » posée par les élèves, le professeur a répondu que si les livres partent dans les maisons, ils vont s'abîmer.
C'est ce motif-là plus encore que le cadenas lui-même, qui révolte les élèves : " Pour qui ils nous prennent. On n'est pas des sauvages. On va pas leur bouffer leur bouquin et puis d'ailleurs, on paie. "Et quelqu'un d'ajouter : "Nous, si c'est comme ça, on ne fait plus de néerlandais".

Pro-positions

Les élèves savent maintenant qu'au Conseil, quand il y a plainte, il y a recherche de propositions pour s'en sortir ("passer de l'émeute à la lutte organisée " me traverse l'esprit !… souvenir d'une lecture…(note2).  Et d'actions menées ici et là, dans les quartiers).
L'élève présidente demande qui a quelque chose à proposer. Voilà les propositions qui fusent :
-" Eh bien, on ne fait plus néerlandais. C'est grève."
- "On parle au préfet pour qu'il arrange les choses"
- "Qu'une élève responsable au moins ait une clé du cadenas pour au moins pouvoir prendre les livres quand il y a un prof. malade"
- "Aller voir le directeur"
- "Prouver qu'on sait garder des livres
"

Chacune trouve naturellement sa proposition la meilleure. Je demande qu'on prenne un temps pour les analyser : voir si elles sont toutes bonnes, si on les garde toutes, s'il n'y a pas un ordre à suivre.
" La grève, on peut pas faire ça comme ça et on risque des punitions. Le préfet, il est gentil, il essaie d'arranger les bidons avec nous mais ici, il va dire que c'est pas lui. Avoir la clé, oui mais c'est pas assez. On doit aussi emmener les livres à la maison "

La Présidente demande :
1 Est-ce que tout le monde est d'accord de faire quelque chose? ; une élève interroge : "Pourquoi tu demandes ça ? Et la présidente répond : "Parce que je crois qu'il y en a qui ont peur"
2 Qu'est-ce qu'on fait en premier ?

Réponses qui deviennent des décisions :

1 Tout le monde est d'accord de faire quelque chose et d'y travailler, à condition, ajoute Kenza, que personne ne lâche. La titulaire non plus.
2 On va d'abord voir le directeur
3 Ça reste au Conseil pour le moment. Les livres restent où ils sont. En attendant, on fait le néerlandais
.

Le Conseil est fini.
À l'OJ pour le prochain Conseil 
: " Comment on va faire avec le directeur pour les livres de néerlandais?"
Au Conseil suivant, c'est le seul point à l'OJ

Comment on fait ?

La question se pose d'abord de savoir si on va envoyer des déléguées. Rapidement, la réponse est non : c'est toute la classe qui y va.
Puis s'entame un petit débat autour de " Pourquoi c'est le directeur qui décide pour le prof. de néerlandais? Mais est-ce que ce n'est pas une excuse du prof ? Elle dit peut-être que c'est le directeur comme ça nous, on ne l'engueule pas, elle." Petite remise en question de la décision : Est-ce que c'est bien chez le directeur qu'il faut aller ? Ce qui amène la question : "Mais qui peut décider quoi dans cette école ? Que le directeur? Et les profs, ils n'ont rien à dire ? Et nous ?"
Ouais OK dit la présidente mais bon la décision c'était " On y va chez le directeur, faut pas changer, pas reculer avec des discussions. Allez, levez-vous, on y va ! Je nous voyais déjà, à la rue, sans autorisation, puis débarquant chez le directeur sans crier gare… Qu'est-ce que ça allait donner? Une élève m'interpelle : " Dites mais il est au moins là le dirlo ?"
Des élèves se demandent comment on fait avec un directeur qui en plus est toujours sur un autre site (15min. à pied)
Je demande la parole :
"Je propose que les questions importantes à propos de qui décide quoi dans l'école, on les voit au cours d'étude du milieu. Pour moi, je sais que si je veux voir le directeur et surtout qu'il ait le temps de m'entendre, je dois prendre rendez-vous"
La question se pose alors chez les élèves de savoir si on lui parle ou si on lui écrit.

Décisions en fin de Conseil :

1 On écrit au directeur pour avoir un rendez-vous, en lui disant juste le sujet
2 On lui demande de venir dans notre classe et on lui parle
3 Au cours d'Étude du Milieu, on va voir qui décide quoi dans l'école.

Le Conseil est fini

Entre temps, on s'est mises au travail pour le cours d'étude du milieu !
On commence par faire la liste de toutes les personnes qui sont dans l'école en essayant de nommer leurs fonctions.
Par sous-groupes de 3, les élèves doivent alors faire leur organigramme de l'école de façon à faire apparaître les liens, comme elles les voient, entre toutes ces fonctions.
On compare, on débat. Je me souviens entre autres d'une discussion épique quant à la place de la femme d'ouvrage à placer en dessous, au-dessus ou sur le même pied que les élèves.
Certaines se nommaient déjà "celles qui ont fait des études et doivent quand même être au-dessus" et la femme d'ouvrage " elle avait qu'à juste nettoyer"… " Tu dirais pas ça si c'était ta mère". Bref un débat houleux et intéressant qui nous faisait vivre des changements de positions et de discours selon que l'on se considérait le dominé ou le dominant de l'autre.
Enfin, on a joué des sketches avec consigne de mettre en scène des relations entre tels et tels acteurs dans une situation précise. Il me semblait que ce travail, un peu recul, nourrissait l'action pour les livres et vice versa.

Écrire et parler

Troisième Conseil sur le sujet
Un seul point à l'OJ. : Comment on fait pour écrire et parler au directeur?

D'abord, écrire, des élèves ne voulaient pas le faire "parce que nous, on parle, on crie (ouais mais si tu cries y t'écouteras pas Non, si tu cries, y zont peur !!) Et puis on sait pas comment on écrit à un dirlo"
D'autres élèves parlent de "comme ça on a une preuve sinon y en a qui disent : ah non vous avez pas dit ça ou ouais vous avez dit ça… » Comme ça on peut se souvenir et on dit mais c'est écrit là et on est sûr d'avoir nos mots à nous. Il faut écrire qu'on n'est pas des sauvages"
Puis vient une demande adressée à moi : "Est-ce qu'on peut passer du temps à écrire la lettre au cours de français, comme ça, on le fait toutes et on prend ce qui est le mieux dit dans chaque lettre"
Je donne mon accord et cela devient une décision.

" Puis, il faudra attendre qu'il nous dise quand il viendra et qui va parler quand il viendra"
La présidente dirige, on fait des listes de responsabilités : qui va faire quoi, dire quoi : qui porte la lettre, qui arrangera le local en rond, quelle sera la place de celles qui vont parler les premières. "Et on essayera d'abord au cours de français et quelqu'un fera le rôle du directeur"
On en reste là à la fin de ce 3eme Conseil.

Reçues chez le directeur

Dans le courant de la semaine, les décisions et les responsabilités sont exécutées. La lettre est portée chez le directeur.
Il nous fait savoir par le directeur de notre site, sans écrit (ce qui déçoit les élèves parce que "ça ne fait pas sérieux qu'il ne nous ait pas répondu de sa main"), qu'il nous recevra chez lui, avec une boisson, tel jour à telle heure.
Ah bon. Les élèves paniquent un peu, sont comme déstabilisées.

Je leur demande ce que ça change pour elles (m'en doutant un peu: c'est pas chez elle, c'est le directeur qui semble orchestrer…En toute bonne foi)
"Ouais, il va faire le gentil, il va nous donner du coca et nous, on saura plus parler, il va parler avant et il va nous faire des enroules et on va pas avoir les livres"
Nadia qui s'est proposée pour parler la première apporte une idée qu'elle présente comme sage : " On arrive, on s'assied, on lui dit qu'on parle d'abord et qu'on boit après" (note3).

Noëlle De Smet

En Belgique, 2e année d'enseignement secondaire, général – équivalent de la 5e en France

Jeunes immigrés dans la cité : protestation collective, acteurs locaux et politiques publiques, ANDREA REA, Ed. Labor collection La Noria, 2001

 

Les élèves ont mené cet entretien de façon magistrale, se relayant très calmement (alors qu'on les connaît comme excitées voire violentes) et obtenu une rencontre entre la classe, le directeur et le professeur de néerlandais. À l'OJ de cette rencontre : organiser un arrangement avec des responsables des clés et des livres pour qu'à la fois ils soient disponibles et ne s'abîment pas. Ombre au tableau : quand le directeur est venu dans la classe, une élève a voulu parler en même temps que lui, prise dans le feu de l'action. Réaction du directeur : " Pas sauvage, vous disiez , ce qui a laissé un goût amer, arrivé dans un suivant Conseil :"Mais pourquoi ils nous prennent toujours pour des sauvages".




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