« Avancer, reprendre joie, défier l'obstacle, peut-être le vaincre, pour aller de nouveau : tels sont nos possibles »
Andrée Chedid (1956)
(Extrait du poème « Au midi des contradictions »)
En 2022 lors des journées de l'Association Méditerranéenne de Psychothérapie institutionnelle, quelques bisontin(e)s mettent la charrue avant les bœufs, emportés par l'élan de Madeleine Alapetite et l'enthousiasme vivifiant des journées : et pourquoi pas une journée de la FIAC 2025 à Besançon ? Et nous avons un thème : « Travailler dans la joie ». Quelques sourires taquins accueillent notre proposition « Il faudrait pas tomber dans la manie ! ».
Chaque chose en son temps…
Mai 2023, journée de la psychothérapie institutionnelle à Blois : l'Association Présence adhère -enfin- à la FIAC et renouvelle l'annonce. Mais... « quand même la joie… Désir serait plus approprié, non ? » Décidément, la joie, ça ne passe pas comme ça.
Pas sérieux la joie ? Mais alors qu'est-ce qui retient ces illuminé(e)s qui restent à l'hôpital et continuent d'inventer la psychothérapie institutionnelle, la conjuguant au présent ?
Si les îlots de résistance sont bien connus et repérés, il en est d'autres où ça résiste aussi, malgré des conditions moins propices, une histoire moins féconde… en apparence. Dans ces lieux, loin d'être idylliques, les personnes qui travaillent mettent du cœur à l'ouvrage, luttent au quotidien et créent des espaces de rencontre. Alors qu'être heureux dans son travail est déjà suspect, dire que l'on est heureux de travailler en psychiatrie, qui plus est dans un hôpital psychiatrique « comme les autres », ne pouvant se targuer d'être entré dans la grande histoire du mouvement d'humanisation des lieux de soins, n'est-ce pas pure folie ? Et alors… ? « La qualité essentielle de l'homme [n'est-elle pas] d'être fou » disait François Tosquelles ?
Et ailleurs, qu'est-ce qui pousse un éducateur, un enseignant, un animateur à se lever chaque matin et à mettre un pied devant l'autre pour se rendre au travail, et avec entrain ?
En 2023, une autre rencontre, avec Olivier Brisson (auteur de "Pour une psychiatrie indisciplinée"), nous encourage : « Rien ne nous oblige à croire à notre propre impuissance ». Et même, « travailler dans la joie » serait la possibilité d'avoir « la main sur ses pratiques, pour les penser, les critiquer, les modifier ou en inventer de nouvelles ».
Comment rendre compte de cette joie sans être naïf ou tomber dans l'euphorie ou le copinage ? Le fait d'être copains ou de penser pareil n'est pas la garantie de bien travailler ensemble. Il serait risqué de tomber dans le piège de l'autosatisfaction, de façon contagieuse et par des effets de collage. Nous soutenons néanmoins comme Pierre Delion que cette dimension de joie se trouve dans le partage : la « joie à réfléchir, à inventer, à penser à plusieurs ». Ce plaisir de penser, travail souvent dans l'après-coup, produit des effets de sens et d'ouverture à l'étrangeté de l'autre.
Il y avait au Japon des « rassembleurs de pierres » qui trouvaient les pierres qui tenaient la base des châteaux-forts. Celles-ci doivent être assez solides pour supporter les tremblements de terre, nous apprenait Shijeru Taga à la journée de psychothérapie institutionnelle 2024 à Bordeaux. Si nous filons la métaphore : cette fonction-là, comment la tenons-nous dans le cataclysme de l'angoisse, ou de la dé-liaison ? Qu'est-ce qui pousse, dirige et tient le travail, même dans des conditions difficiles, éprouvantes ? Comment le travail de soignant, d'éducateur ou de pédagogue, se tient-il dans la continuité ?
En quoi la dimension joyeuse du travail rend-elle possible la rencontre ? Rencontre à la condition de respecter l'autre dans son altérité radicale, en se tenant « au pied du mur de son opacité » disait Jean Oury.
Prendre ainsi en compte la dimension de l'autre, ce sont les modestes prémices pour « programmer le hasard », et partant pour créer un atelier, un club, une réunion, une cafétéria, un repas… Toutes ces trouvailles sans lesquelles rien ne serait possible et qui permettent de maintenir vivants les lieux dans lesquels nous travaillons, et de continuer à les humaniser.
Comment ces outils couplés à l'atmosphère d'un lieu favorisent-ils une dynamique de soin et d'accueil ? Se maintenir en mouvement, travailler dans un collectif bouillonnant, n'est-ce pas nécessaire pour envisager et soutenir une sortie des symptômes négatifs ? Encore faut-il se laisser étonner, ne pas vouloir tout maîtriser. Accepter parfois d'être dupés avant qu'un chemin se dessine. La joie pourrait-elle être une arme de résistance face à l'immobilisme et à la paralysie des institutions ? Que les institutions ne deviennent pas des nécropoles, à l'heure où les choses continuent de se délier, de se détériorer, selon des mécanismes maintenant bien identifiés et analysés. Alors, qu'est-ce qui nous permet de tenir, encore, toujours ?
Comment témoigner de cet engagement, de cette créativité du quotidien pour que cela fasse trace dans l'institution ? Au-delà de ses outils, la psychothérapie institutionnelle dans ce qu'elle a de plus novateur, de plus vivifiant, ne se transmet-elle pas avant tout à notre insu ?
« Une expérience institutionnelle est unique et non reproductible » disait Hélène Chaigneau. Ainsi, ce qui s'enseigne à travers les récits des bricolages et inventions se situe du côté du désir. Nous rejoignons Denis Vasse : « Plutôt que comme savoir, la joie s'exprime comme la vérité du désir, son ouverture au réel, et non comme l'impression clôturante de la pulsion satisfaite ou de l'envie réalisée ». Osons le dire : la joie, être joyeux, c'est sérieux. Et prendre en compte cette « dimension de la joie, [...] sillon du fleuve qui nous mène » selon la formule d'Ignacio Garate-Martinez, comme une dimension féconde essentielle des pratiques en psychiatrie et du champ social, annonce un nécessaire pas de côté : un pied de nez au marasme ambiant, et une reconnaissance officielle de ce qui existe, se fait, ici ou là… et de ce qui soutient chaque objet de réflexion, chaque sujet.
Pour cette journée nationale de psychothérapie institutionnelle, les CEMEA Bourgogne Franche-Comté, association d'éducation populaire et mouvement d'Éducation nouvelle se joignent à nous pour inviter les équipes travaillant en psychiatrie, dans le secteur social et dans l'éducation à venir témoigner de leurs pratiques et inventions au quotidien.
Osons le dire : la joie, être joyeux, c'est sérieux !
Samedi 29 mars
Programme de la 37 éme journée de la FIAC au Kursaal de Besançon.
08h30-09h00 : Accueil café.
09h00 : Introduction François Simon, Delphine Glachant, Charline Maire et Émilie Garnier-Gulli.
09h30 – 10h30 : Table ronde « Quelle joie trouvons-nous encore dans notre travail ? » : Valentine Prouvez, Christophe du Fontbaré, Discutantes : Aurore Gribos, Charline Maire.
11h00 : Ateliers.
12h00 : Pause repas.
13h30 : Reprise des ateliers.
15h15 : « Subversion de la joie et émergence du collectif » par Jean-Michel Abt, discutant(e)s, Pierre Delion avec Johanna Beck et Émilie Garnier-Gulli.
16h30 : Conclusion par Pierre Delion.
17h00 : Clôture.
Samedi 29 mars
37 éme journée de la FIAC au Kursaal de Besançon.
08h30-09h00 : Accueil café.
09h00 : Introduction François Simon, Delphine Glachant, Charline Maire et Émilie Garnier-Gulli.
09h30 – 10h30 : Table ronde « Quelle joie trouvons-nous encore dans notre travail ? » : Valentine Prouvez, Christophe du Fontbaré, Discutantes : Aurore Gribos, Charline Maire.
11h00 : Ateliers.
12h00 : Pause repas.
13h30 : Reprise des ateliers.
15h15 : « Subversion de la joie et émergence du collectif » par Jean-Michel Abt, discutant(e)s, Pierre Delion avec Johanna Beck et Émilie Garnier-Gulli.
16h30 : Conclusion par Pierre Delion.
17h00 : Clôture.