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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
date : 2008

 

Quoi de neuf ? La loi !

Quoi de neuf dans une classe de 1eB (12-14 ans, en échec scolaire), ce lundi, en fin d'après-midi. Je n'ai que cette seule heure de cours avec eux, une heure hebdomadaire de « communication ».

Boris est un élève turbulent et souvent agressif. Il vit depuis plusieurs années en institution et rentre chez sa mère le week-end. Il nous raconte au quoi de neuf qu'il « a la rage » parce que sa juge vient de décider qu'il doit rester à l'internat (pour un an au moins puisque c'est statué chaque année), alors qu'il voudrait tellement rentrer dans sa famille. Bien sûr, la classe connaît depuis le début de l'année la situation de Boris, il s'exprime chaque semaine longuement au quoi de neuf et en a parlé régulièrement, souvent pour se plaindre du règlement de l'institution ou de la violence des éducateurs. Ce lundi, il semble vraiment révolté par le jugement qui décide de sa vie. Alain demande s'il peut poser une question. Je rappelle la règle : on peut poser une question à condition qu'elle soit respectueuse de l'autre, et l'autre n'est pas obligé de répondre. Alain demande « Pourquoi t'es en institution puisque t'as une mère chez qui tu peux vivre ? » Boris répond : « ça a commencé quand j'étais petit, en primaire, j'arrêtais pas de me battre, alors les profs ont convoqué ma mère et ont dit que ça devait cesser, et comme j'arrêtais vraiment pas, j'ai dû aller à l'internat. »

Plusieurs disent leur étonnement : « Quand on se bat, on doit aller à l'internat ? »

Je prends la parole : « Vous voyez les lois de la classe qui sont affichées là ? Eh bien, ce sont les mêmes que les lois du pays, de la Belgique. La première dit « je ne fais pas mal ». Les lois du pays interdisent également de faire mal, d'agresser quelqu'un. C'est interdit dans l'école, et c'est interdit en dehors de l'école. Les parents qui élèvent un enfant doivent lui apprendre à respecter les lois. Boris ne respectait pas la loi « ne pas faire de mal aux autres ».

Boris : « Oui, même quand ma mère me disait de ne plus me battre, elle me le disait, mais j'écoutais pas, je continuais toujours ».

Moi : « Donc, à ce moment-là, si les parents n'arrivent pas apprendre à l'enfant à respecter la loi, l'enfant va en internat pour apprendre ça : respecter la loi. »

Plusieurs expriment leur étonnement : « C'est vrai madame, les lois de l'école sont les mêmes que celles du dehors ? »

Je confirme, je redis.

Je les sens très frappés par cette discussion.

 

Ahmed prend alors le bâton de parole*. Il ne suit pas bien en classe, ses enseignants envisagent pour lui une réinsertion dans l'enseignement spécialisé. « Moi, je vais bientôt y aller, à l'internat. Moi, c'est parce que mes parents, ils me frappent tout le temps. Ils me frappent à chaque fois que j'ai des mauvais points. Et comme l'école c'est difficile pour moi, j'ai toujours de mauvais points, alors ils me frappent, mon père et ma mère…J'ai déjà failli y aller l'an passé : la dame a dit, si ça recommence encore une fois, tu devras y aller. Maintenant ça a recommencé… »

Moi : « Oui, c'est une autre raison pour laquelle un enfant peut aller en internat : si les parents le frappent, alors c'est eux qui ne respectent pas la loi, car la loi interdit cela ».

S'ensuivent quelques paroles de « réconfort » pour Ahmed, de la part des autres élèves.

Je rappelle la boîte de la confidentialité* : je la referme et tout ce qui a été dit ici reste symboliquement dans la boîte, et donc n'est pas dit ailleurs.

Je sens que ce quoi de neuf a été important. Des choses lourdes s'y sont dites. Grâce à la PI, j'ai pu rattacher ce qui a été dit à la loi, et j'ai l'impression que ça a été rassurant pour les élèves. En tout cas, ça l'a été pour moi. En effet, que puis-je dire, qu'ai-je à dire, que dois-je dire quand nous entendons ce genre de choses en classe ? Chaque fois, je suis très touchée par ce genre de propos. Mais ça, ça ne m'aide pas - enfin si, c'est sans doute moteur pour que je continue à organiser le quoi de neuf… - et ça ne les aide pas. Donc pouvoir raccrocher à la loi, c'est donner un cadre, donner du sens (un peu…, peut-être ?) au fait, par exemple, qu'un jeune soit en institution.

 

* outils empruntés à la « communication relationnelle », méthode de Jacques Salomé.

 

Geneviève Naert

 

 

 




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