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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
date : 05 février 2010
mots-clés : accueil, désir, place, écoute

 

Dans la classe institutionnelle, la parole de l'élève est instituée et instituante car elle est appréhendée comme le " véhicule " du désir de l'enfant qui, s'il n'est pas reconnu et pris en compte, s'épuise.

La place et la parole de l'enfant en classe institutionnelle

Conseil ordinaire de fin de semaine en CM1 ; point de l'ordre du jour inscrit par les responsables " jardiniers " de la classe : enrichir en faisant des boutures la collection de plantes d'intérieur de la classe. " J'ai des misères chez moi, j'ai des misères chez moi ! " Debout, quittant sa place pour avancer à l'intérieur du cercle, le doigt levé très haut, un garçon trépigne, saute sur place, ne peut attendre son tour de parole et répète qu'il a des misères chez lui. Il s'appelait Laurent. Il avait alors dix ans. Il est resté dans ma mémoire car parmi les centaines d'enfants que j'ai rencontrés dans ma vie professionnelle d'institutrice, sa parole, cette année-là, a compté dans ma manière d'écouter l'enfance.

Au début de l'année scolaire il m'avait remis le dessin de sa famille et d'un ton désinvolte avait lancé : " Tiens, il y a pas mon père parce que j'ai pas de place ". C'était un garçon dynamique, toujours à la limite de l'insolence. Parfois violent dans ses interventions, très souvent dans une attitude d'opposition, je ressentais le mépris discret qu'il affichait à l'égard de la classe, moi compris, son dédain, son opposition larvée, et sa désinvolture comme une contestation de ma position de responsable de la classe, un " Pousse-toi de là que je m'y mette " assez fatigant qui me tirait vers une relation de rivalité entre lui et moi de très mauvais aloi et que je refusais.

En classe il occupait littéralement le devant de la scène. Au cours des moments collectifs, il se campait de façon répétitive à mes côtés, face à la classe et intervenait à tout propos. " Laurent, retourne à ta place je te prie. " En début d'année, je répétais cette phrase des dizaines de fois par jour. Peu à peu, à mesure que la classe s'est institutionalisée, j'ai fini par ne plus avoir à la prononcer du tout.

La correspondance, le journal et les autres productions coopératives, l'expression libre, les responsabilités qu'il a investies avec beaucoup d'énergie, la Causette du matin, le Conseil bien sûr, bref la classe institutionnelle a sans doute fait que ce petit garçon trouve la place qui lui faisait défaut car il a passé une année de CM1 sans histoire avec des résultats scolaires attendus et " normaux ".

L'accueil de la personne dans le groupe-classe

La condition pour entrer en apprentissage, et c'est l'un des principes sur lesquels se fonde la Pédagogie Institutionnelle, est la prise en compte dans toutes les activités de la classe de ce qui, très profond dans chacun de nous représente la source d'énergie pour vivre, grandir, apprendre, exister : le désir. La parole en est le véhicule. Un enfant coupé de sa parole, est coupé de son désir et est empêché d'apprendre. L'accueil de cette parole-là ouvre à la question de la place qu'on lui fait, du lieu qu'on lui ménage et qu'on lui aménage pour qu'elle soit au service du développement de l'enfant, de tous les enfants, pas seulement de ceux qui ont la parole " facile ". Cette préoccupation va bien au-delà de la question didactique du développement des compétences langagières et de l'apprentissage de la communication, question pédagogique à la mode s'il en est mais qui ne représente qu'un arbre cachant la forêt.

Arrêt sur image.

Dans une classe de CE1, au cours d'un travail de groupe qui consiste à construire la frise du temps. Théophile, dressé comme Laurent au cours du conseil parle très fort, véhément et montre de la main droite le petit doigt de sa main gauche : " Si, je te jure ma grand-mère elle a un sixième doigt, là, je te jure ! " La maîtresse intervient et dit à Théophile que " ce n'est pas le moment " de parler de sa grand-mère. C'est exact, ce n'est pas le moment. Mais quand est-ce donc " le " moment dans cette classe ordinaire ? Quel est le lieu institué pour parler avec ses camarades de ce phénomène passionnant et sans doute un peu inquiétant ? Dans cette classe-là, il n'y en a pas. Alors le temps de recherche en groupe, où le poids de la maîtrise pédagogique s'allège, est investi et devient lieu d'émergence sauvage, au détriment des objectifs pédagogiques du maître évidemment. Instituer une Causette ou un Quoi d'Neuf exprime la volonté d'ouvrir un espace où la parole a sa place, et où l'enfant, être de désir et donc de parole en a donc une. Ce moment-là représente et signifie la volonté de donner à la parole " vraie " de l'enfant et à l'enfant lui-même, une place, sa place mais rien que sa place. Une place instituée.

D'autres lieux, les institutions, sont des lieux propices permettant de répondre, de façon médiatisée et sans perdre de vue la loi fondatrice du groupe " Nous sommes là pour travailler. ", à la question de la place du Sujet dans l'apprentissage et de la prise en compte de la personne de l'élève dans l'action pédagogique.

Alors, l'écoute, qui signifie, dans cette perspective, l'acceptation de l'idée que l'inconscient, celui de l'élève comme celui du maître, est dans la classe, comme partout ailleurs, et qu'il agit, n'est plus seulement une des conditions à une bonne communication. L'écoute représente dès lors une hospitalité intérieure à l'enfance, à l'enfant, par la médiation notamment de sa parole singulière. C'est la prise en compte de la parole dans sa dimension symbolique, lieu d'émergence, voix/voie royale de l'inconscient agissant dans la classe.

Cette composante de la formation à la Pédagogie Institutionnelle n'est pas des plus aisées et nécessite, d'une part un travail particulier, souvent difficile à concevoir au premier abord, mais indispensable à initier puis à vivre tout au long de la formation, et d'autre part un travail entre praticiens pour le mieux possible approcher " ce que parler veut dire ".

Epilogue 

A la fin de l'année, la mère de Laurent m'a informée qu'elle changeait son fils d'école. Elle ne souhaitait pas qu'il reste une seconde année dans ma classe (je suivais mes élèves deux ans à cette époque) car je n'avais pas " fait le programme ". Je lui avais affirmé le contraire et elle m'avait coupé la parole : " Non, vous n'avez pas fait les homonymes et les homophones. " Pourtant, et c'est peut-être ce que sa mère ne supportait pas, Laurent, avait bien eu la possibilité de saisir, parce que sa parole avait été possible et entendue, qu'il y a misères et misères. Et c'est ce qui l'avait aidé à trouver la place qui lui faisait défaut, et à grandir cette année-là.




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