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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
auteur : veronique
date : 12 janvier 2025

 

Des espaces de paroles :

 

Quoi de neuf ? un peu de rien, une respiration, un souffle de liberté…

 

L'épi-est-sur-terre fait un quoi de neuf « mangeant » les mercredis de 12 à 13 heures. Chaque semaine, ce temps de paroles sur le travail en classe, sur les échanges avec l'institution est une respiration.

Un midi, dans l'échange que j'ai avec Philippe, j'exprime les bienfaits que m'apporte ce quoi de neuf. Ses paroles me surprennent : « si cela te fait du bien, est-ce que tu ne penses pas que cela pourrait faire du bien à tes élèves ? ». Et c'est comme ça, que quelques jours plus tard, j'ouvre mon premier Quoi de neuf avec une classe de sixième.

Le choix de la classe s'est tout de suite imposé : nous sommes en avril et j'ai l'impression que ces élèves de sixième n'ont pas grandi. Jusqu'à ce jour, je n'ai pas trouvé d'entrée à la création d'un projet. Ils demeurent dans les petits conflits, ceux qui classent le monde entre les gentils et les méchants.

C'est mon premier Quoi de neuf : avant de me lancer dans l'aventure, j'essaie de m'informer sur les règles de fonctionnement. Je décide qu'il aura lieu tous les vendredis après-midi, pendant 20 minutes, coordonné par un président/donneur de tour de paroles et un gardien du temps. Chaque élève pourra s'inscrire dès la veille sur une feuille en notant son nom et son temps de parole, entre 1 et 3 minutes. Enfin, la principale règle sera celle de la confidentialité, ce qui sera dit dans la classe, restera dans la classe, entre nous.

Alors, ce vendredi, en début d'heure, je présente à la classe, le Quoi de neuf et leur propose de le commencer dés ce jour. Les élèves semblent partants. Pendant que je termine une leçon, une feuille circule dans les rangs pour s'inscrire. J'annonce la fin du cours et je propose aux élèves de pousser les rangées de bureau du milieu afin d'installer un cercle de chaises.

Le temps que je range des affaires, le cercle de chaises est installé, sans bruit, comme si les élèves l'avaient toujours fait. Une impression que le Quoi de Neuf a toujours existé. Ambre se propose pour être présidente et Robyn pour être gardien du temps. Je m'assois avec eux dans ce cercle et je me tais. Pendant 20 minutes, ils vont parler, échanger et je ne vais rien dire. Je me sens à la fois dans le cercle et en retrait. J'écoute sans voyeurisme, sans appréhension, sans attente. Je découvre un nouvel espace dans la classe, je découvre une autre facette de l'enseignement, et je découvre des élèves.

Sur ces quelques semaines de Quoi de neuf, il me semble que des transformations ont opéré : des élèves ont pris des responsabilités nouvelles, des prises de risque, ils ont su ouvrir un espace où parler, pour parfois ne rien dire, puisse exister. Cet espace de rien a donné une respiration, est venu remettre de l'humanité dans ce quotidien répétitif mais aussi à l'intérieur de moi : je ne me sens plus tout à fait à la même place, je ne leur parle plus vraiment de la même manière. Cela va plus loin encore mais c'est difficile à exprimer. Au-delà de ce qui s'y dit, (dires que nous verrons par la suite à travers trois élèves), ce sont le lieu et le positionnement qui m'ont déplacé. Je m'assois souvent dans la classe à côté des élèves, j'occupe peu l'espace du tableau. Lors du premier Quoi de neuf, j'ai eu la sensation d'être dans un espace où chacun pouvait s'approprier sa place, on était tous assis en rond, il y avait même une chaise vide (pour l'élève absent ? pour l'invité ? pour la symbolique ? par hasard ?). J'étais au travail avec eux. J'ai ressenti aussi que dans mes silences, par mon positionnement en retrait, j'occupais une place qui permettait aux élèves d'être assis là et de parler librement. J'ai eu l'impression d'une libre circulation dans mon corps, je n'étais plus un monobloc, seulement un être humain vivant avec d'autres êtres humains sur la terre. Après ces quelques réflexions personnelles, je vous propose de lire quelques dires de ces élèves.

Lucie : elle est sollicitée dès le premier Quoi de Neuf, elle ne dit rien, ne répond pas. Elle intrigue ses camardes par ses silences et sa solitude. Au deuxième Quoi de neuf, elle s'inscrit et explique à ses camarades qu'elle a une maladie grave, une occlusion intestinale due au stress. Ses camarades interrogent. Elle explique que ses parents sont en désaccord sur une opération possible. Quelques Quoi de neuf plus tard, elle se réinvite pour nous parler de la violence qu'elle subit par son père. Les élèves sont attentifs, posent des questions sur la situation familiale que font sa mère, ses sœurs ; sur ses réactions en parle-t-elle, se défend-elle ; et sur le fait d'être battue, ils comparent leur situation, nos parents parlent, expliquent mais ne frappent pas. Certains vont l'interroger sur le lien entre sa maladie et son sort d'enfant battue. Étonnant ce tour de paroles : les camarades ne sont ni dans la niaiserie ni dans la compassion, ils l'aident à mettre des mots, à s'exprimer mais aussi à l'informer et à pouvoir comparer. En dehors de ces temps de paroles, Lucie continue son chemin sans ses camarades.

Lors du dernier Quoi de neuf, je proposerai aux élèves qui auraient souhaité que leurs paroles puissent sortir de la classe de me faire signe. Aucun élève ne l'a fait.

David : ce jeune homme vit en famille d'accueil, séparé de sa famille pour des raisons de violences physiques. Tout au long des Quoi de neuf, il va nous conter sa vie en familles d'accueil, de ses parents qu'ils voient régulièrement et nous annoncer lors du dernier Quoi de neuf, un possible retour chez ses parents. De temps en temps, je rappelle en fin d'heure, la règle de confidentialité, et David me fait remarquer que si cette règle n'était pas posée, il n'aurait pas pu parler. Un jour, pendant le Quoi de neuf, David explique qu'il ne faut surtout pas toucher son dos car il a des coups de soleil extrêmement sensibles. Bien sûr, Louis le fera « sans faire exprès ». David pleure rien n'arrête ses larmes, même pas le goûter proposé. Au bout d'un temps, je l'autorise à aller à l'infirmerie. Il part comme un chien battu et revient 5-10 minutes plus tard souriant. « Madame, l'infirmière m'a dit que je ne suis pas tout seul à avoir des coups de soleil ».

Louis : ce n'est pas un élève en difficultés scolaires mais en difficultés relationnelles. En classe, il a toujours besoin de demander quelque chose, de faire des remarques tant à ses camarades qu'aux professeurs. Hors classe, c'est souvent des insultes, des gestes brusques qui entraînent le plus souvent des bagarres. Il fatigue tout le monde, élèves et équipe pédagogique, et pourtant cette grande souffrance qui transparaît, repousse sans cesse nos limites du supportable. Toutes les semaines, il s'inscrit au Quoi de neuf, et nous parle de ses animaux domestiques à qui il arrive des malheurs. Au bout de quelques temps, il demande la parole et présente ses excuses à ses camarades, leur dit qu'il ne peut pas nous expliquer les raisons de son comportement, lâche un « ça vient de la maison ». Puis, il pose une demande à ses camarades : l'accepter dans leurs discussions et dans leurs jeux. Les discussions ont été sans concession mais en toute sérénité. La semaine d'après, nous apprenons que Louis a été admis dans un groupe de la classe et a participé à des jeux pendant les récréations. Je me souviens de ce jour où Louis a pu mettre quelques mots sur ses problèmes car le soir, son bus s'arrête devant mon arrêt de citram. Pour une fois, il ne s'est pas agité pour me faire signe, juste un petit geste de la main.

Et puis, il y a tous les autres qui ont parlé de leurs difficultés, de leurs joies, de leur petit quotidien, des paroles qui nous ont accompagnés. Ces expériences sont notre bien commun.

 

V. Legouis, Bordeaux 2013




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