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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
auteur : veronique
date : 26 juillet 2022

Souvenirs, souvenirs...

Hommage à Danièle Clairon

Si je recherche ce qui a été le plus précieux pour moi dans la longue période de temps durant laquelle mon travail au Ceépi m'a donné l'occasion de côtoyer Danièle Clairon, il me faut me reporter, quelques mois après le décès de Michel Exertier en 2011, au désir qu'elle soutint au sein du groupe Caus'actes, de nous voir nous mettre au travail sur le thème de la fonction scribe. Il en sortit de nombreux mois plus tard un 4'pages qui avait pris le temps de s'élaborer au gré des différents chantiers de PI qui s'étaient réunis, tant à Mers-les-bains qu'à La Gaudière et à La Hulotte.

Pourtant, en y repensant aujourd'hui, je m'aperçois que bien des indices avaient déjà contribué à me rendre attentif au souci que, dans les années précédentes, alors qu'elle avait rejoint un Ceépi qui, parallèlement au travail qui se faisait au sein de ses équipes, allait et devenait poursuivant ainsi sa structuration, elle nourrissait quant à la dimension d'un « dire » qui en sourdine et dans ce qui s'en entendait, en disait peut-être plus que les contenus des dits qui circulaient dans des échanges qui poursuivaient leurs objectifs.

C'est en effet bien avant cette période que j'ai eu l'occasion de la voir prendre position sur la nécessité, comme elle le formulerait plus tard, de pouvoir « prendre langue » avec d'autres dans le travail en PI avant même toute préoccupation d'ordonnancement et de mise en forme d'un projet ou d'un travail en cours.

Ce souci a notablement marqué et considérablement influencé le style des échanges au sein du Ceépi et de l'équipe Caus'actes au cours de ces quinze dernières années, mettant ainsi en évidence, dans le lien historique que la PI y restaurait ainsi avec la psychothérapie institutionnelle, que l'homme ne serait pas l'homme si son humanité ne plongeait pas ses racines aux sources de sa singularité la plus radicale (sa singulière folie), cette sorte de premier tâtonnement d'une co-présence au monde d'avant toute distinction d'un sujet et d'un objet et d'avant toute règle qui en codifierait l'articulation et la distance.

J'ai voulu pour ma part entendre chez elle, dans cette expression « prendre langue », donc, cette dimension d'un « féminin », qu'on peut trouver aussi bien chez une femme que chez un homme, et qui échapperait à ce qui, pour tout être humain, se trouverait soumis à l'empire exclusif d'une fonction langagière qui, oublieuse de sa dimension poétique, n'aurait pour ambition que de tout administrer, tout délimiter, en nous organisant et en nous délimitant.

En effet, les hésitations fréquentes de Danièle, à l'issue d'une journée où nous estimions avoir bien travaillé, pour répondre à la question rituelle en PI de savoir si ça allait ou si ça n'allait pas, nous replaçait immanquablement devant cette autre question posée à notre humanité par cette notion de limite, au sens où peut s'en entendre dans la tradition arabe cette sorte de parabole qui raconte qu'au stade de la teinture, la femme de l'artisan fait volontairement une tache safran sur la pièce d'étoffe que son époux vient de tisser, afin de signifier, selon ce qui s'en dit, que « seul Dieu fait des œuvres parfaites ».

Paradoxe donc, que cette dimension d'un féminin, dont une expression populaire nous suggère que : « Ce que femme veut, Dieu le veut ! », intervienne ainsi pour ébrêcher à sa manière la tentation impérieuse inhérente à toute pratique langagière - et en prévenir ainsi une dérive -, qui viserait à mettre intégralement en équation symbolique les débordements anarchiques d'un élan vital avançant à tâtons à la recherche des mots du texte qu'il tricote.

Pierre d'achoppement* produisant du reste, encore et en corps, qui faisait écrire à Winnicott :

« Ce scandale* qui fait du langage un corps déporté, et du corps une configuration sémiotique, se soutient d'un paradoxe où l'acquisition de la parole dépend de la suture des orifices du corps érogène, et où le sens et la forme de l'expérience corporelle se trouvent conditionnés par le modèle du langage. Le paradoxe ne doit pas être résolu. »

                                                                                                                                                                                                                                                                                Philippe Legouis (Bordeaux, le 06/07/2022)




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